lundi 17 octobre 2016

Chapitre 8



Chapitre 8


Le lendemain, au point du jour, Claudine mit son bonnet et sortit de la ferme pour aller raconter la nouvelle à sa voisine la laitière. Elle mêla si bien dans son discours Mme la Pluie, la grotte de l'Ouest et les nymphes avec l'enchanteur Merlin et la princesse Églantine que la voisine la crut folle. Cependant, la laitière, en portant sa crème et son beurre au château, ne manqua pas de raconter l'aventure comme elle put au cuisinier. Le cuisinier en parla au valet de chambre, qui s'en alla trouver M. le baron. Jean-Pierre vit arriver son seigneur à la ferme.
" Mon ami, dit le baron, j'ai rencontré tout à l'heure dans un bois Mme la Pluie qui est une amie de ma femme. Elle m'a parlé d'une boîte de cuivre dans laquelle est un théâtre de marionnettes et m'a conseillé de te l'acheter pour amuser mes enfants.

- Cette boîte merveilleuse ne m'appartient pas, répondit le meunier. Elle a été donnée à mon fils Pierrot.

- Eh bien ! c'est à Pierrot que je l'achèterai. Qu'avez-vous besoin d'un théâtre ? Cela est bon pour des gens riches comme nous. Irez-vous perdre votre temps à regarder des marionnettes au lieu de travailler ? Une centaine d'écus valent mieux pour Pierrot que toutes les poupées du monde.

- Ce serait mon avis, répondit Jean-Pierre ; mais ma femme m'a trop grondé de vous avoir vendu le petit tonneau d'argent. Je ne ferai rien sans la consulter. "

Claudine rentra, et le seigneur lui offrit d'abord cent écus du théâtre magique, et puis mille livres, et enfin deux mille ; mais la meunière ne voulut rien écouter. M. le baron se fâcha tout à fait en disant qu'on refusait ses offres pour le plaisir de le contrarier et qu'il saurait bien se venger.

Alors le petit Pierrot s'approcha en ôtant son bonnet et salua le baron :

" Monseigneur, dit-il, le théâtre merveilleux m'appartient. Si vous le permettez et si Mme la baronne veut bien me recevoir chez elle, je porterai mon théâtre au château et je ferai jouer mes acteurs devant vos enfants aussi souvent que vous me le demanderez.

- A la bonne heure ! dit le seigneur. Tu es un gentil garçon. Apporte ton spectacle ce soir après le dîner et je te donnerai quelque chose pour ta peine. "

Le soir arrivé, Pierrot mit la grande boîte de cuivre dans une brouette et s'en alla au château. Mme la baronne était une belle dame aimable, charitable et bonne, qui tâchait d'adoucir un peu l'humeur de son mari. Elle avait trois jolis enfants, une fille et deux garçons. Pierrot fut reçu à merveille. On le caressa, on lui donna des gâteaux, et la baronne lui glissa de l'argent dans la main. Pour le premier jour, Pierrot fit jouer à ses marionnettes la première comédie seulement et on la trouve si jolie qu'on le pria de revenir le lendemain. Le second jour, il montra la seconde comédie, et ainsi de suite jusqu'au douzième jour. Quand ce fut fini, on voulut recommencer. Pierrot prit donc l'habitude d'aller au château tous les jours ; jamais il ne retournait à la ferme sans avoir reçu des caresses, des gâteaux et de l'argent, et le meunier, en voyant son fils revenir chaque soir avec les poches pleines, comprit enfin tout ce que valait le cadeau de Mme la Pluie.

La petite fille de la baronne, qui était du même âge que Pierrot, aimait passionnément les comédies de marionnettes. On l'appelait Marguerite. Elle avait les plus jolis yeux bleus et les plus beaux cheveux blonds du monde ; mais elle était sage, douce et toujours de bonne humeur, ce qui vaut mieux que d'être belle. Pierrot l'aimait beaucoup, et Mlle Marguerite avait aussi de l'amitié pour lui. Un soir, après le spectacle, elle soupira en disant :

" Tu es bien heureux, Pierrot, d'avoir un théâtre merveilleux. Mme la Pluie t'a donné là un joujou digne d'une princesse.

- Mademoiselle, répondit Pierrot, je suis bien heureux, en effet, de posséder une chose qui vous plaise afin de pouvoir vous la donner. Si mon théâtre est digne d'une princesse, vous le trouverez peut-être digne de vous, et je vous l'offre de tout mon cœur.

Marguerite avait grande envie d'accepter le présent ; mais la baronne s'y opposa.

" Pierrot, dit-elle tu es trop généreux. Garde ta boîte magique. Ma fille ne veut pas t'en priver.

- Laissez-le, dit le baron ; s'il lui convient de donner son théâtre à Marguerite, il ne faut pas l'en empêcher. Ne te gêne pas, mon garçon. Ma fille acceptera le cadeau sans se faire prier.

- Mademoiselle, reprit Pierrot, le théâtre vous appartient. Voici la baguette magique. Amusez-vous avec les marionnettes autant que vous voudrez... "

Lorsque Jean-Pierre apprit que son fils avait donné la boîte de cuivre, il se mit en colère.

" Ne vous fâchez pas, mon père, lui dit Pierrot. Il est vrai que j'ai donné la boîte et la baguette ; mais j'ai gardé le livre doré sur tranche, et vous verrez qu'on m'enverra chercher demain, comme à l'ordinaire, pour réciter la comédie. "

Le meunier n'écoutait rien et s'apprêtait à fouetter son fils ; heureusement Claudine prit le petit Pierrot dans ses bras.

" Jean-Pierre, dit-elle à son mari, notre garçon en sait plus long que toi. Ce qu'il dit est raisonnable. Attends au moins jusqu'à demain avant de fouetter. "

Un domestique du château vint chercher Pierrot le lendemain, comme à l'ordinaire, car on avait besoin de lui pour faire parler les marionnettes. Après la comédie, Marguerite soupira en disant :

" Mon cher Pierrot, si tu ne me donnes pas le livre doré sur tranche, ton joli présent ne me servira à rien.

- Voici le livre, répondit Pierrot. Je le gardais pour avoir le plaisir de vous montrer moi-même le spectacle ; mais puisque vous désirez l'avoir, je vous le donne. "

Jean-Pierre se mit dans une colère terrible, en apprenant que son fils n'avait plus le livre doré sur tranche.

" Mon père, lui dit Pierrot, je n'ai pu résister au plaisir d'obliger Mlle Marguerite ; j'espère que nous nous en trouverons bien. M. le baron ne nous tourmentera plus ; Mme la baronne lui parlera en notre faveur, et j'aurai gagné l'amitié de la plus aimable demoiselle qui soit au monde. "

Le meunier voulait absolument fouetter son fils. Heureusement Claudine emporta Pierrot en disant :

"  Attends un peu, Jean-Pierre ; attends au moins que nous sachions si ce que dit notre enfant arrivera. "

Mais le lendemain le domestique du château ne vint pas comme à l'ordinaire.

" On n'a plus besoin de moi, disait Pierrot, et on m'oublie ; mais je ne regrette rien puisque j'ai fait plaisir à Mlle Marguerite. "

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