vendredi 3 mars 2017

La serviette, le sac, le chapeau aux canons et le cor - Grimm


Il était une fois trois frères, originaires de la région de Schwarzenfels et issus d'une famille très pauvre. Ils se rendirent en Espagne et, là-bas, ils arrivèrent au pied d'une montagne qui était entièrement entourée d'argent. Le frère aîné se servit et prit autant d'argent qu'il pouvait en porter, puis il rentra chez lui avec son butin. Les deux autres poursuivirent leur voyage et arrivèrent à une montagne où l'on ne voyait rien d'autre que de l'or. Le frère puîné prit, lui aussi, autant d'or qu'il pouvait en porter et rentra chez lui. Mais le troisième frère voulait tenter sa chance encore mieux que les autres et poursuivit son chemin. Trois jours plus tard, il arriva dans une terrible forêt où il marcha jusqu'à en être épuisé. La faim et la soif le tenaillaient, et il ne pouvait sortir de la forêt. Il grimpa donc dans un grand arbre pour tenter d'apercevoir la fin de la forêt, mais il ne vit rien d'autre que des cimes. Il fit alors le vœu de pouvoir manger à sa faim ne serait-ce qu'une fois encore, puis il commença à descendre de l'arbre. Quand il fut en bas, il aperçut au pied de l'arbre une table couverte de toutes sortes de mets. Il se réjouit, s'approcha de la table et mangea jusqu'à en être rassasié. Son repas terminé, il emporta la serviette avec lui, et lorsque la faim et la soif se faisaient de nouveau sentir, il dépliait sa serviette et aussitôt, il y trouvait ce qu'il désirait.
Après une journée de voyage, il arriva chez un charbonnier qui était occupé à brûler du charbon et à faire cuire des pommes de terre. Celui-ci l'invita à partager son repas, mais le jeune homme lui dit:
- Plutôt que de manger chez toi, je veux te prier d'être mon invité.
- Comment serait-ce possible? demanda le charbonnier. Je ne vois pas que tu aies quoi que ce soit sur toi.
- Cela ne fait rien, viens et assieds-toi.
Et sur ces mots, il déplia sa serviette et il s'y trouva aussitôt tout ce qu'on pouvait souhaiter. Le charbonnier mangea de bon appétit et la serviette lui plaisait beaucoup. Aussi, quand ils eurent fini de manger, il parla ainsi au jeune homme: « Faisons un échange: je te donnerai, en échange de ta serviette, un vieux sac de soldat. Quand tu tapes dessus avec la main, il vient à chaque fois un caporal et six soldats armés de pied en cap. Ils ne me sont d'aucune utilité dans la forêt, mais ta serviette, elle me plairait bien. » L'échange eut lieu: le charbonnier garda la serviette et le gars de Schwarzenfels emporta le sac de soldat. Mais à peine avait-il fait un bout de chemin qu'il tapa sur le sac, et aussitôt, les valeureux guerriers en sortirent:
- Que désire mon maître?
- Allez chez le charbonnier récupérer la serviette que j'ai laissée chez lui.
Les soldats retournèrent donc chez le charbonnier et rapportèrent la serviette. Le soir, le jeune homme arriva chez un autre charbonnier, qui l'invita également à dîner et qui avait les mêmes pommes de terre cuites sans saindoux. Cependant, le gars de Schwarzenfels déplia une nouvelle fois sa serviette en le priant d'être son invité, et ils trouvèrent tout ce qu'ils désiraient. Quand le repas fut terminé, ce charbonnier- là lui demanda aussi d'échanger avec lui: il lui donna en échange de sa serviette un chapeau qu'il suffisait de faire tourner sur sa tête pour faire tirer des canons comme s'il y avait là une batterie tout entière. Après que le gars de Schwarzenfels eut fait un bout de chemin, il tapa de nouveau sur son vieux sac, et le caporal, escorté de ses six hommes, dut de nouveau aller récupérer sa serviette. Le garçon continua ensuite son chemin dans la même forêt et, le soir, il arriva chez un troisième charbonnier qui l'invita, comme les autres, à partager ses pommes de terre cuites sans saindoux. Mais ce fut le gars qui lui offrit son repas et lui donna sa serviette en échange d'un cor qui faisait tomber villes, villages et forteresses quand on soufflait dedans. Cependant, ce charbonnier ne garda pas la serviette plus longtemps que les autres, car le caporal, escorté de ses six hommes, vint bientôt la lui reprendre.
Lorsque le gars de Schwarzenfels eut réuni tous ces objets, il rebroussa chemin et prit la route de chez lui pour rendre visite à ses frères. Ceux-ci étaient devenus riches, grâce à tout leur or et leur argent et, lorsqu'il arriva, vêtu d'un vieil habit tout déchiré, ils ne voulurent pas le reconnaître comme leur frère. Il tapa aussitôt sur son sac et fit apparaître cent cinquante soldats qui durent aller frotter les côtes de ses deux frères. Tout le village accourut à leur secours, mais ils ne purent pas faire grand-chose. On signala alors la chose au roi, qui envoya une troupe afin de faire prisonniers ces soldats. Mais le gars de Schwarzenfels continua de taper sur son sac et déploya l'infanterie et la cavalerie qui renvoyèrent cette troupe à l'endroit d'où elle venait. Le lendemain, le roi rassembla encore davantage d'hommes pour faire battre en retraite ce drôle de gars. Cependant, celui-ci continua de taper sur son sac jusqu'à ce qu'il en sorte toute une armée. En outre, il fit tourner son chapeau sur sa tête deux ou trois fois et les canons se mirent à tirer, battant et mettant en fuite l'ennemi. On signa alors la paix et on nomma le gars vice- roi, et, en sus, on lui donna la princesse pour épouse.
Mais la princesse, quant à elle, pensait sans cesse au fait qu'elle avait dû épouser un drôle de bonhomme comme celui- là et son plus cher désir était de s'en débarrasser. Elle lui demandait tous les jours quels étaient les secrets de sa puissance, et lui, il était si confiant qu'il lui raconta tout. Elle parvint alors, par ses paroles, à lui soutirer son sac, puis elle le répudia, si bien que quand, ensuite, des soldats marchèrent sur lui, son armée royale ne put rien faire. Mais il avait encore son chapeau. Il s'en saisit donc et fît tonner les canons; l'ennemi fut battu et on fit de nouveau la paix. Mais, plus tard, il se laissa de nouveau abuser et la princesse lui soutira son chapeau. Et lorsqu'il fut assailli par l'ennemi, il ne lui restait plus que son cor. Il se mit alors à souffler dedans et aussitôt, villages, villes et forteresses furent abattus. Il resta alors roi tout seul et souffla dans son cor jusqu'à sa propre mort.

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