mardi 29 mai 2018

Poil de Carotte - La mouche




La chasse continue, et Poil de Carotte qui hausse les épaules de remords, tant il se trouve bête, emboîte le pas de son père avec une nouvelle ardeur, s’applique à poser exactement le pied gauche là où M. Lepic a posé son pied gauche, et il écarte les jambes comme s’il fuyait un ogre. Il ne se repose que pour attraper une mûre, une poire sauvage, et des prunelles qui resserrent la bouche, blanchissent les lèvres et calment la soif. D’ailleurs, il a dans une des poches du carnier le flacon d’eau-de-vie. Gorgée par gorgée, il boit presque tout à lui seul, car M. Lepic, que la chasse grise, oublie d’en demander. – Une goutte, papa ? Le vent n’apporte qu’un bruit de refus. Poil de Carotte avale la goutte qu’il offrait, vide le flacon, et la tête tournante, repart à la poursuite de son père. Soudain, il s’arrête, enfonce un doigt au creux de son oreille, l’agite vivement, le retire, puis feint d’écouter, et il crie à M. Lepic : – Tu sais, papa, je crois que j’ai une mouche dans l’oreille. MONSIEUR LEPIC Ôte-la, mon garçon. POIL DE CAROTTE Elle y est trop avant, je ne peux pas la toucher. Je l’entends qu’elle bourdonne. MONSIEUR LEPIC Laisse-la mourir toute seule. POIL DE CAROTTE Mais si elle pondait, papa, si elle faisait son nid ? MONSIEUR LEPIC Tâche de la tuer avec une corne de mouchoir. POIL DE CAROTTE Si je versais un peu d’eau-de-vie pour la noyer ? Me donnes-tu la permission ? – Verse ce que tu voudras, lui crie M. Lepic. Mais dépêche-toi. Poil de Carotte applique sur son oreille le goulot de la bouteille, et il la vide une deuxième fois, pour le cas où M. Lepic imaginerait de réclamer sa part.
Et bientôt, Poil de Carotte s’écrie, allègre, en courant : – Tu sais, papa, je n’entends plus la mouche. Elle doit être morte. Seulement, elle a tout bu.

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